La révolution d’Eric Cantona : info ou intox ?

Il est intéressant de se pencher sur ce qui fait le « buzz » du moment, la déclaration d’Eric Cantona du 8 octobre appelant à retirer tout son argent des banques le 7 décembre.

Oui, Eric Cantona a raison quand il dit que notre société est bâtie sur les banques, c’est à dire sur le système financier. Oui, il a raison de penser que le système financier détient un rôle majeur dans la situation économique qui aboutit à la misère dans le monde.

De là à penser que retirer son argent des banques résorbera la misère dans le monde, c’est plus discutable : il y a fort à parier que si cette manifestation a réellement un impact, il soit plus négatif que positif sur notre quotidien : une banque en difficulté fait appel à l’état pour la renflouer, on en a vu des exemples récemment. Et qui dit état qui renfloue, dit pression qui augmente sur nos impôts.

Par ailleurs, les syndicats ont des comptes en banque, je doute qu’ils soient d’accord pour saborder leurs finances….

Mais ce qui est intéressant à observer est ailleurs.

Penchons nous d’abord sur la crédibilité d’Eric Cantona dans cette affaire. Cette petite intervention médiatique de 2 minutes postée sur Youtube a fait des émules en 2 mois : l’appel au retrait a été relayé des centaines de fois par d’autres personnes (moins connues) sur de nombreux réseaux sociaux ; on peut maintenant observer un intérêt des médias, et même des réactions inquiètes des banques ou de leurs représentants. Comment expliquer un tel effet ?

Eric Cantona est un excellent joueur de football, vous savez, le jeu qui consiste à taper dans une petite balle bicolore. Il est aussi un excellent acteur de cinéma, son apparition sur grand ou petit écran réjouit toujours nos soirées familiales. Est il pour autant économiste, leader syndicaliste ou militant des droits de l’homme ? Pas du tout, et pourtant son charisme acquis sur gazon et grand écran lui donne une crédibilité propre à nous faire tout gober, même une théorie économique. L’histoire des mouettes et du chalutier nous oblige t’elle à penser qu’Eric Cantona est en fait un philosophe émérite ? Pourquoi pas. Il n’empêche que les banquiers tremblent aujourd’hui devant un footballer retraité. Quand on pense au mal fou que se donnent certains hommes politiques ou porte parole d’entreprise pour être crédibles, Eric Cantona l’est tout naturellement. C’est une crédibilité charismatique pour le moins et suffisamment inhabituelle pour être soulignée.

Ensuite, c’est l’image des banques qui est à souligner. L’impact des propos d’Eric Cantona est peut être à rechercher ailleurs, dans la terrible image des banques.

La crise financière qui a débuté fin 2008 a été agrémentée d’histoires aussi invraisemblables que choquantes comme les couteux renflouements de banques, les scandaleux parachutes dorés, les banqueroutes fracassantes, l’improbable affaire Madoff, ou le sombre procès Kerviel. Ces histoires et le nouveau douloureux quotidien de millions de personnes ont pesé lourdement sur l’image des banques et du système banquier et financier dans son ensemble (traders, agences de notation, courtiers, bourses, etc.) qui depuis souffrent d’un cruel déficit de réputation.

Cette réputation est elle fondée ? Oui, certainement, et peut être bien plus encore qu’on ne le croit. Le système financier dans son ensemble est si arrogant, se suffisant à lui même, fonctionnant pour lui même, loin de toute considération humaine et en dehors de toute réalité du quotidien, qu’on peut comprendre que les citoyens veuillent en changer.

Il y a peu, un économiste (un vrai !), expliquait que la bourse n’a plus aucune utilité économique aujourd’hui… rarement un groupe de métiers, une catégorie d’entreprise n’a eu de si graves problèmes de réputation. C’est plus qu’un désamour, c’est une haine tenace : c’est à cause des banques que l’on meurt de faim. L’accusation est très grave, l’impact fracassant. Et pourtant, on se rend chaque semaine ou chaque mois à sa banque, on en a besoin, on est coincés. On se met alors à rêver d’un monde sans banque….On ne peut pas changer le système, alors on tente de s’en débarrasser.

Le problème de l’action d’Eric Cantona est qu’elle va certainement démontrer le contraire de ce pourquoi elle a été conçue : en retirant notre argent, nous allons nous apercevoir à nos dépends combien notre vie au quotidien est régie par le système financier international, combien ce système nous retient en otage.

Changer le système financier va demander bien d’autres efforts, à tous niveaux, sur beaucoup plus de temps.

Eric Cantona aura eu le mérite de lancer le débat, de mettre le doigt sur ce qui fait mal. Peut être que dans quelques décennies, grâce à ses 2 minutes d’intervention, nous aurons recréé un nouveau système, pour nous, qui nous sert et permet le développement durable sur toute la planète. Et à ce moment là, si on s’en souvient, on pourra dire merci Monsieur Cantona.